De l’hermétisme liminal, zone de genèse des singularités
Dans le cadre du casting lancé à l’occasion de la mise en scène – en langue technique : de la performance immersive multimedia – de ma série Atoll Raiders™ aux Beaux-Arts de Paris, prévue pour le printemps prochain (je présenterai ce projet d’art contemporain / littérature totale ici plus tard), j’ai été amenée à filtrer beaucoup plus de profils performers candidats que je ne m’y attendais. Les textes ont circulé – circulent à l’instant, tracent leurs routes, colorent les limbes – et déploient ma vision canalisée, pour mon plus grand plaisir, et ma fascination assaillie par la multitude de nouveaux retours et de perceptions exogènes du flow que cette exposition professionnelle génère. La série vit désormais largement au-delà de moi; elle me lâche, évaltonnée, prend son indépendance, pénètre d’autres psychés, dynamiques ou indolentes, mais jamais sans me quitter intégralement, attachée indélébile qu’elle restera à mon nom dans la mémoire SSD du monde…
J’écoute la diversité des interlocuteurs et des lectures d’Atoll Raiders™. C’est intéressant. Dans la vague, un trait connu de ma littérature refait surface : son hermétisme.
“Tes textes sont hermétiques” entends-je depuis plus d’une décennie dans l’acidité, comme un reproche de première classe; comme le rejet-réflexe d’un col de chemise défait dont la direction serait à corriger.
J’écris à ChatGPT sans majuscule :
“je travaille sur l'imaginaire du col de chemise défait; parle-moi”
ChatGPT :
“Le col de chemise défait évoque immédiatement une image de décontraction, mais avec une tension subtile. Ce geste peut être interprété comme une ouverture, une vulnérabilité discrète ou même une rébellion face à la rigidité des conventions vestimentaires. C’est un symbole entre deux états : ni totalement formel, ni entièrement relâché. Il peut indiquer une fatigue après une journée intense, ou une volonté de montrer une part plus informelle, personnelle.
D’un point de vue littéraire ou visuel, ce détail permet de révéler des informations sur un personnage sans en dire explicitement plus. Il devient un indice sur son état émotionnel : le personnage qui défait son col pourrait signifier un désir de libération ou la difficulté à respirer dans une situation oppressante. Cela pourrait aussi représenter une transition — entre le travail et le loisir, entre l’apparence extérieure maîtrisée et l’intime, l’inconscient qui affleure.
L’imaginaire du col de chemise défait peut également s’inscrire dans l’histoire de la mode masculine et de la représentation des masculinités. Il y a quelque chose de viril mais vulnérable dans ce geste. On pense au businessman qui, après une longue journée, relâche un peu de sa pression, ou à des figures littéraires et cinématographiques, comme James Bond, qui allient un style impeccable à un relâchement physique révélant des failles.”
Je réponds au ghost :
“merci pour l’insight”
Depuis presque toujours, mes alexandrins sont hermétiques. Souvent, cette épaisseur de dimension caractérisant mon travail et ma volonté d’engager et cultiver formellement un système de “pluralité des significations” a été mal reçue – reçue en défaut. Aujourd’hui, je suis heureuse d’entendre le strict contraire de ces commentaires passés peu constructifs. Le mystère séduit. Il est valorisé; stimule.
“Mon travail commence à découvrir son fruit…”
Je développe, par analogie avec l’insight de la machine :
L’hermétisme permet en effet ma “décontraction, mais avec une tension subtile”.
L’hermétisme permet en effet l’expression (rare) de ma “vulnérabilité”, de “l’inconscient qui affleure”.
L’hermétisme permet en effet de “révéler des informations sur mon personnage sans en dire explicitement plus”.
L’hermétisme permet en effet de conserver la “maîtrise” de l’apparence extérieure tout en exposant l’intime dans sa version la plus totale.
L’hermétisme n’est pas une impasse, mais une posture de protection transitoire – liminale – favorisant la vie émotionnelle du processus créateur.
L’hermétisme constitue un levier majeur de ma littérature, de mon chemin “désir” (sic) de libération.
Plastique, signifiant, calculé, vecteur de symboles et de rêves, l’hermétisme (seul ? à défier) permet de manifester alchimiquement l’indicible; en cela, il m’est indispensable.
En conclusion de ce billet-surf, je m’en référerai à la pensée sagace du professeur d'histoire de l’art moderne et d'esthétique de l'Université Columbia à New-York Jonathan Crary, auteur de l’essai 24/7. Le capitalisme à l’assaut du sommeil (2013) et de ces lignes (ci-dessous) qu’il m’arrive régulièrement de relire. À travers son prisme d’analyse parallèle, le critique américain met en évidence la fonction [politique] fondamentale qu’occupe le dispositif hermétique au sein de l’espace social; l’on comprendra dans ce contexte : les techniques d’encadrement de la sphère intime, de régulation de l’exposition, de préservation et de régénération de la singularité du moi.
“Un courant de la théorie politique contemporaine considère que le fait d’être exposé à quelque chose est l’une des caractéristiques fondamentales ou transhistoriques de ce qui a toujours constitué un individu. Loin d’être autonome ou auto-suffisant, l’individu ne peut pas être compris autrement qu’en relation avec une altérité qui lui fait face. Dans cette perspective, seul cet état de vulnérabilité permettrait de mettre au jour les rapports de dépendance qui constituent une société. Dans le moment historique où nous nous trouvons, cette condition de vulnérabilité a été coupée de sa relation aux formes collectives qui pouvaient, au moins à titre provisoire, assurer sa préservation ou son soin. La façon dont Hannah Arendt pose ces problèmes dans son œuvre est ici particulièrement instructive. Pendant des années, elle s’est servie des images de la lumière et de la visibilité pour rendre compte de ce qui était selon elle nécessaire à l’existence d’une vie [politique] substantielle. Pour qu’un individu dispose d’une effectivité [politique], il faut un équilibre, un mouvement d’aller-retour entre l’exposition claire, voire crue de l’activité publique et de la sphère protégée – confidentielle de la vie privée – ce qu’elle appelle “les ténèbres de la vie cachée”. Ailleurs elle se réfère au “crépuscule qui baigne notre vie privée, notre vie intime”. Sans cet espace ou ce temps pour la vie privée [...] un équilibre rythmique entre épuisement et régénération [...] il n’y aurait plus la moindre possibilité de nourrir la singularité du moi, un moi capable d’apporter une contribution significative aux échanges qui ont trait au bien commun.”