L'Oracle et l'Entrepreneur™ - Aperçu
Un court extrait de mon roman, chapitre 5, qui stimulera peut-être vos sens et votre curiosité...
Derrière la porte transparente floutée de sa cabine Ethel pouvait discerner des protestations d’enfants refusant de porter leurs branchitechnies et les consignes enjouées de leur mère, qui ne leur “demandait pas leur avis”. Elle se déshabillait, précipitée, enfilait son corps ciselé dans un trois-pièces orange-dorian avant de se parer de ses propres branchitechnies, impatiente de nager. Une fois par semaine, (car les jours de la manifestation variaient) Ethel retrouvait ses deux copines Phila et Tyché au “photosynthesis pooling afterwork” de la piscine Joséphine Baker, sur les quais de Seine du 13ème arrondissement. Ce rituel – devenu global depuis son lancement dans les piscines de Los Angeles quelques années plus tôt – instauré par la mairie de Paris, s’alignait sur la nouvelle politique adapto-urbaniste de la ville, asphyxiée par son air que les contraintes climatique et machinique envahissantes rendaient jour après jour plus particulaire, c’est-à-dire plus nuisible pour le respirant.
Le fleuron des tribus d’architectes, designers et ingénieurs français avait été réquisitionné par le gouvernement pour la conception et la mise en œuvre du système aquatech edge de l’infrastructure, à la pointe de l’innovation. Ce tour de force d’une réalisation combinant autonomie énergétique, canon visuel et métabolisation carbonique avait été – littéralement, lors de son inauguration – encensé par le Concile, dont chaque position exprimée engageait la teinte fragile des mœurs collectives…
Une fois son équipement validé par l’androïde de garde, Ethel s’avança vers le rebord. Autour d’elle, la marche nébuleuse des fréquenteurs de la zone de détente prenait l’allure d’une toile de Gerhard Richter à demi-floue, diluée dans un soundscape décapé par ses vrilles... Elle plongea.
Je ne veux plus être en surface. Je ne veux plus percevoir la vibration ligne défaillante qui domine autour. Que l’eau contrôlée noie ce qui me connecte à cette information venin fixe. Que mes sens s’y neutralisent, que la réception cesse, que ma nausée s’éloigne…
Ethel prenait un plaisir leste et libre à nager dans cette piscine particulière. Elle aimait sentir les eaux turquoises purifiées par UVC glisser sensuellement sur sa peau, caresser ses chevilles, ses jambes, ses épaules, jusqu’à la ligne de son front... Elle aimait ouvrir les yeux sous l’eau alors qu’elle impulsait sa brasse, tonique et légère tel un glider solo par dessus les récifs artificiels polychromatiques du fond bassin, où se cotoyaient plantes génétiquement ajustées, microalgues luminescentes, filtreurs carbone et leurs faisceaux de câbles connectés à la batterie capitale.
Lancée sans doute, Ethel amorçait sa trajectoire de dépassement chrono. La nage avait le pouvoir de détacher Ethel du temps linéaire. Chaque aller-retour dans son couloir à capteurs d’énergie cinétique approfondissait la relâche de sa conscience brûlée, qu’elle savait laisser se consumer dans son expérience de surface, lucide et aveugle à la fois. Chaque battement de jambe losange la projetait plus loin dans la fracture de son onde personnelle. Chaque dégagement de nuque la projetait plus loin dans l’enivrement de l’oubli fugitif. Chaque respiration soustraite à son diaphragme la projetait plus loin dans la dissolution du sens, océanique, électrisé, sport d’eau, recommence, éteinte…
-Ethel ! Ethel ! Réveille-toi !