Soirée de présentation de mes recueils à O Μετεωρίτης - Athènes
En Avril 2018, je rédigeai La désinvolture en commençant de cette manière
“L’on aurait pu traduire vers le grec cet idiome
Lysergique et branché lorsque les séquoias cèdent
En décembre pre-2000 émerge l’arbre fantôme
Tout le parc, le château, Louveciennes, Ganymède
Observent la prothesis, l’ekphora, les feux roses
Cyan faillent à séduire les asphodèles instables
(…)”
Mes préoccupations de l’instant – j’en garde une mémoire vive – étaient très éloignées d’un quelconque désir d’expérience grecque. Pourtant, le choix intuitif de ces signes dans l’infini de mes options révèle avec évidence un ancrage littéraire déjà inscrit au programme. Souvent, les choses sont prévues (vues en avance).
7 ans, 5 mois et beaucoup de lignes plus tard – une des librairies les plus pointues d’Athènes – O Μετεωρίτης / O Meteoritis / La Météorite découvre mon travail et m’invite le temps d’une soirée – le 9 Septembre 2025 – à lire des alexandrins devant son public new cool de Kipseli, dont l’accueil et l’écoute sensible m’ont beaucoup touchée…
Je tiens à remercier et mettre particulièrement à l’honneur dans ce billet les deux personnages clés de cette affaire, et piliers de la scène littéraire indépendante locale
Benoît Durandin, fondateur de l’”institution” (pour reprendre son terme), ex-chercheur et grand voyageur, depuis plus de dix ans à la tête d’une Météorite qu’il dirige tel un navire à batterie ouverte
Noam Assayag, brillant animateur de l’échange, qui a su saisir et valoriser avec finesse la plastique de mes textes (cet exercice subtil). Lui-même écrivain français, artiste calligraphe print, journaliste visuel, ex-collaborateur de l’IRI (feu Stiegler), amoureux de sa cité d’adoption où il poursuit entre autres projets son art de la marche en ville “à la manière d'une forêt de signes à portée de main”… à découvrir dans son manuel d’inspiration urbaine Activating Cities (Circadian, 2018) / Marcheur-cueilleur (Circadian, 2023)
Au cours de ces échanges, j’ai découvert qu’Athènes était un haut lieu de poésie, qui en apprécie, en exige même l’écoute “simple et brute”, dénuée des carapaces de dispositifs conceptuels dont nous avons l’habitude. La francophonie y est très développée : perçue, vécue comme une oasis des spatialités libres, la ville est actuellement zone d’être alternative de nombre d’âmes hexagonales…
Cet exode n’est pas anodin, et l’observer de près m’a rendue curieuse de son histoire. En investiguant, l’on réalise rapidement que les liens d’admiration réciproques tissés entre lettres françaises et lettres grecques ne datent pas d’hier. L’intellectuelle grecque Ourania Polycandrioti, spécialiste de l’histoire des idées et transferts culturels en Méditerranée, m’a d’ailleurs éclairée à ce sujet. Voici un extrait d’un de ses articles qu’il me semble intéressant de partager dans ce cadre :
“Les relations culturelles entre la France et la Grèce datent depuis bien longtemps. Dans les temps modernes, le combat des Grecs pour la liberté est largement soutenu par un fervent mouvement philhellénique européen, plutôt nourri par le reflet du passé antique et des valeurs classiques, fondements de la culture et de la pensée occidentales. Entre autres, le rôle culturel de la France s’est particulièrement manifesté depuis le siècle des Lumières. C’est notamment le cas dans le domaine de la littérature pédagogique, voire de la littérature destinée à la jeunesse, depuis le XVIIIe et jusqu’à la fin du XIXe siècle. La prédominance des livres religieux s’affaiblit vers la fin du XVIIIe siècle en faveur des œuvres littéraires, scientifiques, historiques, politiques et philosophiques. Parmi ces livres les manuels de morale s’adressent à un large public. En chiffres, au XVIIIe siècle, parmi les langues traduites, le français se place au deuxième rang après l’italien, avec 18,2 % des titres, tandis qu’au XIXe siècle c’est le français qui prend la relève avec 35,5 % des titres. Le français sert aussi de langue intermédiaire dans la traduction depuis l’anglais, l’allemand, le russe et le latin vers le grec.
Ainsi, la France, pays de culture dominante et symbole de la suprématie occidentale, fut pour la Grèce, petit pays périphérique d’un passé brillant certes, mais d’un présent plus ou moins inconnu et à l’identité encore incertaine au début du XIXe siècle, à la fois une source intellectuelle, un modèle à atteindre, mais aussi une menace identitaire contre une prétendue pureté de la tradition hellénique. Ce dualisme identitaire, l’oscillation entre une appartenance européenne d’une part et la préservation de la tradition et de l’identité purement helléniques de l’autre, a constamment tourmenté la vie culturelle et politique de la Grèce pendant tout le XIXe siècle, en s’intensifiant progressivement depuis la fin de ce siècle. Aujourd’hui encore, elle continue à persister sous diverses formes et expressions. D’autre part, le reflet de l’antiquité classique continua à déterminer la formation de l’identité collective ainsi que l’image du pays aux yeux des Européens. Le processus de la constitution de l’identité nationale, dans une large mesure, puise ses arguments idéologiques dans le reflet de la Grèce antique à la pensée et à la civilisation occidentales. Les voyageurs et les descriptions qu’ils publiaient, plus ou moins authentiques et/ou fondées sur leurs propres bagages culturels et sur leurs lectures, contribuèrent à propager une image de la Grèce contemporaine assez particulière, résultat à la fois de l’autopsie et de la fictionnalisation, voire de la mythification de l’histoire apprise.
(…)
en Grèce post-révolutionnaire, la France a joué un rôle prépondérant, non seulement par sa présence militaire et / ou politique, mais aussi en tant que source intellectuelle, modèle culturel et représentation emblématique d’un Occident à la fois objet d’admiration et de défiance. Le rôle de la France fut donc à la fois concret et pragmatique ainsi qu’abstrait et théorique. La France n’était pas tant un modèle national, ou encore européen mais plutôt un modèle occidental. Sa représentation façonna la perception de l’Occident présente dans les esprits.”
Les tensions identitaires ont toujours constitué d’importants axes de réflexion des penseurs, toutes disciplines et géographies confondues, à croire que sans illusion de repère fixe nos esprits ne peuvent trouver la force d’avancer. Comment définir celles qui influencent aujourd’hui la France d’Athènes ? À quoi, à qui essaye-t-elle d’échapper exactement ? À quelles contraintes physiques, mentales, spirituelles se soustrait-elle ?
Mémoires, disparitions, circulations et survivances de récits plus vastes que nos sensations directes dirigent nos pas sans que nous n’y prêtions toujours attention. Il se passe des choses à Athènes… la France y est apparemment reçue, installée depuis un moment dans la désinvolture de ses tags et la superbe de ruines ghostées sous soleil blanc.
Évidemment ravie d’écrire que lors d’un éventuel prochain sac de la capitale grecque par mes pairs, mes livres seront sur place…